mercredi 14 août 2019

Un havre de paix à North Bay

De Hearts à North Bay, c'est presque 7 heures de route. Fatigué, je m'arrête au Dreany Haven campground. Oui, c'est réellement un havre de paix.



À la réception, la très gentille propriétaire est francophone. Elle m'indique l'endroit où je pourrai m'installer. Petit rituel : après avoir pris possession de mon terrain, je m'empresse d'aller voir de quoi ont l'air les toilettes et les douches. Ici, tout est parfait !

C'est maintenant l'heure de préparer mon repas du souper. Sur le terrain d'à côté, deux femmes viennent rendre visite à ma voisine et je remarque qu'elles lui parlent en français! Les trois femmes discutent un moment, puis les deux visiteuses repartent. Ma voisine, Diane de son prénom, me jette un regard ouvert à la conversation. Je lui dis bonjour. Nous discutons quelques minutes, puis elle rentre dans sa roulotte.

Le souper est prêt, je m'installe pour manger. Une femme se présente soudainement à ma table de pique-nique et m'aborde ainsi: « vous êtes M. Pilote »? Je la regarde avec étonnement. Elle me dit: « Diane, à côté, m'a appelé et m'a dit : « Sylvie, il faut absolument que tu viennes parler avec M. Pilote, ça va t'intéresser ». Vous devinez qu'il est question de « Rouler franco ».

Sylvie est intervenante en apprentissage scolaire dans une école francophone. Elle aide les enseignantes dans le but de favoriser l'apprentissage des enfants qui ont des difficultés. On s'entend que les difficultés d'apprentissage, dans le contexte qui prévaut dans les écoles francophones, ne sont pas le fait de quelques exceptions. On sait que, selon les règles en vigueur, les écoles francophones doivent accepter dans leur rang les enfants qu'on appelle les « ayant droit », c'est-à-dire ceux qui ont un droit constitutionnel à une éducation francophone (généralement issus de parents ou de grands-parents ont reçu une éducation francophone). Beaucoup de ces enfants entendent parler en français pour la première fois lorsqu'ils arrivent à l'école, parce que le français n'est plus la langue d'usage dans leur famille. Certaines écoles admettent même des « non ayant droit » (aucune trace de français dans ces familles; cela fait d'ailleurs l'objet de grands débats actuellement), ce qui complique davantage la tâche des enseignantes et des intervenantes comme Sylvie. En fait, la plupart de ces enfants n'éprouvent pas de véritables difficultés d'apprentissage (intrinsèquement); leurs difficultés sont plutôt contextuelles, elles sont liées au fait que le programme n'est pas adapté à leur capacité réelle, tout simplement parce qu'ils ne possèdent pas les acquis nécessaires pour s'y conformer.

On a donc d'un côté des enfants dits « en difficulté » et de l'autre, des enfants issus de familles réellement francophones qui, eux, possèdent les acquis nécessaires. Ces derniers, malheureusement,  ne peuvent pas évoluer au rythme auquel ils le pourraient puisque l'application du programme francophone est ralentie par ce nombre important d'enfants qui n'ont pas les acquis nécessaires. De plus, les enfants francophones (ceux qui ont les acquis nécessaires), parce qu'on veut faire d'eux des enfants bilingues, doivent suivre le même programme d'anglais que suivent les enfants anglophones, alors que, logiquement, ces enfants devraient plutôt suivre programme d'anglais « langue seconde » qui serait mieux adapté à leur situation.  Les enfants francophones ont donc double charge... Ce que j'en apprends des choses avec Sylvie!

Diane, qui a été enseignante durant de nombreuses années 
et Sylvie, intervenante en apprentissage scolaire.

Mais ce n'est pas tout! Nous discutons ensuite d'un thème qui m'est cher: le lien entre langue et culture. Sylvie m'explique qu'en situation de minorité, l'aspect culturel que porte la langue française fait défaut. Je m'explique. Qui est Samuel de Champlain? Étienne Brûlé ? Qui sont les auteurs importants en littérature, théâtre, cinéma ? Ne baignant pas dans une culture francophone, les enfants ne pourront acquérir de la langue française que sa dimension utilitaire. Or, en contexte minoritaire, alors que la vie courante se vit en anglais, une langue limitée à ses aspects utilitaires ne peut pas résister longtemps. La majorité l'emporte, comme on dit. Pour pallier ce manque, l'école avait ajouté au cursus une dimension « construction identitaire » où des apprentissages sur le plan culturel devenait possible. Mais, me dit Sylvie, avec les coupures dans le domaine de l'éducation en Ontario, ce sont ces aspects du programme qui devront être abandonnés en premier... Ah! ce que j'en apprends encore avec Sylvie !

J'ai souvent souligné dans ce blogue l'importance pour les francophones d'avoir leurs propres écoles pour pouvoir offrir à leurs enfants une éducation en français. Encore faut-il que ces écoles soient en mesure de leur permettre d'acquérir une langue française qui l'est jusqu'à sa racine...

Autre observation de Sylvie: on sait que, de manière générale, les rapports parents-enfants et les méthodes éducatives ont beaucoup changé  au cours des dernières décennies. « Nous, me dit Sylvie, dans notre famille, parce que nous tenions à notre langue, nous exigions de nos enfants qu'ils l'adoptent à la maison et ailleurs lorsque nous le pouvions. Aujourd'hui, exiger, ce n'est plus très tendance...».

Ouf! Quand je pense que je ciblais un camping situé quelques kilomètres avant celui-ci et que j'ai finalement décidé de rouler encore un peu avant de m'arrêter. Quelle bonne intuition j'ai eu! Rencontre imprévue, rencontre tellement riche!

Merci Diane, merci Sylvie. Je repartirai avec une connaissance plus fine des enjeux auxquels les enseignantes et les intervenantes en milieu scolaire sont confrontés.










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