jeudi 10 décembre 2020

Chez les francophones de la résistance

 Bonjour!

Après avoir voyagé tout l'été 2019 dans 5 provinces canadiennes dans le but d'y rencontrer des communautés francophones, j'ai écrit un bref récit de mon aventure. Une aventure qui m'a permis de parcourir tout autant les méandres de mon monde intérieur que les innombrables chemins du territoire canadien Je me décide enfin à le publier, après plus d'une année d'inactivité sur ce blogue. Dans ce court texte, je ne prétends aucunement présenter un portrait objectif de la situation des francophones en minorité linguistique. Il y a des experts pour traiter « objectivement » de ces questions. Ici, place aux expériences vécues, aux impressions, aux interrogations, à tout ce qui se faufile entre les mailles de l'objectivité...   

______________________ 

Chez les francophones de la résistance


Ils mènent d'incessantes luttes pour la survie de leur langue et de leur culture. Leur disparition est annoncée à tout vent, statistiques à l'appui. Ils se battent malgré tout, ils résistent. Ce sont de fiers francophones. Je suis allé à leur rencontre, je vous raconte...

Comme beaucoup de Québécois, la réalité des communautés francophones canadiennes et acadiennes m'était pour ainsi dire inconnue. C'est à l'automne 2018 que s'est éveillée ma curiosité à l'endroit de ces communautés. Tout a commencé lorsque Mme Denise Bombardier a affirmé, sur le plateau de l'émission Tout le monde en parle, qu'à travers le Canada « les communautés francophones avaient à peu près disparues ». J'ai d'abord cru sans réserve à la véracité des déclarations de Mme Bombardier, compte tenu de la notoriété dont elle jouit. Mais on se souviendra des nombreuses réactions qu'ont déclenché ses propos dans les communautés concernées. Des réactions qui, si elles ne permettaient pas de réfuter d'un seul coup l'opinion de la chroniqueuse, révélaient à tout le moins la présence bien réelle de plusieurs îlots francophones dans l'océan anglophone que forme le Canada.

Quelques semaines après cet évènement télévisuel, un autre évènement, plus grave celui-là, amenait les communautés francophones à se manifester à nouveau. Cet évènement, c'est celui que les franco-Ontariens ont nommé « le jeudi noir de l'Ontario français ». Sous le couperet du gouvernement conservateur de Doug Ford, adieu Commissariat aux services en français! adieu Université de l'Ontario français! À cette occasion, on a vu une impressionnante mobilisation chez les franco-Ontariens eux-mêmes, mais aussi chez les francophones de partout au Canada. Était-ce là la manifestation d'un véritable désir d'exister en français au milieu de l'anglophonie? Curieux, je me suis mis à la recherche d'informations sur la francophonie canadienne et acadienne.

« L'apprentissage n'épuise jamais l'esprit »

Léonard de Vinci, esprit universel

Et plus j'apprenais, plus je ressentais de l'empathie envers ces communautés qui ont maintes fois défendu la légitimité du « fait français » au Canada et qui, encore, doivent le faire. Une vague d'émotions m'envahissait peu à peu. Moi qui ai si souvent fait de ma rationalité, un refuge, et de ma tempérance, une maitresse, je me surprenais à éprouver un sentiment d'indignation et un fort désir d'agir, si peu que ce soit, aux côtés de ces francophones. Il faut dire que depuis un certain temps, quelque part dans l'incubateur de ma conscience, s'avivait un désir de défier ce petit gendarme ennuyeux qui m'habite et qui s'affaire depuis toujours à réglementer ma vie. Je sentais qu'une énergie nouvelle pouvait lui faire contrepoids, l'énergie, peut-être, d'un petit être coloré oublié au fond de mon âme; un petit être qui sait toucher la vie, mais dont le souffle était encore gêné par mes hésitations.

Ce n'était qu'une question de temps! Une poussée bien sentie me vint de l'intérieur, un projet vit le jour: partir à la rencontre des communautés francophones canadiennes et acadiennes. J'achèterai une minifourgonnette, je l'aménagerai pour le camping, et je roulerai vers l'Ouest dès l'été prochain, puis vers l'Est en 2020.

« La curiosité est une gourmandise, voir c'est dévorer »

Victor Hugo, poète, romancier


Devant moi, un hiver et un printemps pour me préparer. Il fallait d'abord localiser ces communautés francophones, identifier des associations qui les représentent, des personnes qui accepteront de me rencontrer. Appels lancés ici et là sur différents réseaux de communication et, rapidement, des résultats surprenants: de nombreuses invitations venues de partout au Canada! Je devais ensuite acheter une minifourgonnette et l'aménager. Astuce: devenir membre de ces communautés virtuelles formées par des voyageurs qui rivalisent d'imagination pour faire de leur véhicule un lieu habitable. On y trouve une multitude d'idées d'aménagement. On n'y apprend aussi les rudiments d'une philosophie de vie, celle du « savoir se nourrir des petits bonheurs tout près de soi » à laquelle nous convie le nomadisme.

Voilà, tout est en place. Départ prévu au début du mois de juin 2019. Voyager seul, avec une connaissance plutôt faible de l'anglais, tout en adoptant un mode de vie des plus sobres... Est-ce bien moi? Étrange sensation que celle d'avancer sans ses repères habituelles!

« J'accepte la grande aventure d'être moi »

Simone de Beauvoir, philosophe

L'aventure s'appelle Rouler franco, une aventure que je fais connaitre grâce à mon blogue et à un compte Instagram bien alimenté par ma fille Gabrielle. M'exprimer, me prononcer, recevoir les commentaires de certains lecteurs et, qui sait, peut-être avoir à souffrir les réactions épidermiques de quelques-uns d'entre eux, voilà un réel défi pour la personne plutôt timide que je suis. Allez! L'heure n'est plus au doute!

Comme le veut la tradition chez les « vanneux » (ainsi se désignent-ils eux-mêmes, ces voyageurs en « van » et en « minivan »), je dois baptiser ma minifourgonnette. Tiens! elle s'appellera Dolorès. Dolorès, c'était le nom de mon enseignante de français en secondaire I. Elle a marqué mon histoire d'amour avec la langue française ce jour où elle a encensé l'un de mes poèmes devant la classe. Souvenir impérissable! Il me faut aussi un compagnon de voyage, un ami en cas de sauve-qui-peut, comme l'était Wilson pour Chuck Noland, incarné par Tom Hanks dans le film Seul au monde. Toi, petit castor souriant, emblème du Canada par surcroît, tu joueras ce rôle! Lucien sera ton nom! Lucien, c'était le nom de mon père, ce petit homme déterminé et inébranlable.

. . .

Shawinigan, lundi matin, 10 juin, je pars. Je suis fébrile, J'ai un rendez-vous important aujourd'hui même. Ne fallait-il pas commencer cette aventure avec force et sens? À 15 heures, je rencontrerai Amanda Simard, la députée ontarienne de la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell. Vous vous souvenez de Mme Simard, celle qui a démissionné avec fracas du parti conservateur de Doug Ford après que son gouvernement eut retiré des services en français à la minorité francophone? Je tenais à saluer cette jeune femme, à souligner son courage et son intégrité. Une femme fidèle à ses valeurs, capable de se lever pour défendre une cause juste, voilà qui suscite au plus haut point mon admiration.

« Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage »

Périclès, homme d'État athénien (495-429 av. J-C)


Me voilà à Embrun, là où elle habite. Nous avons rendez-vous au Expérience café et smoothie bar. J'arrive à 15 heures pile, elle y est déjà. Enjouée, allumée, fibre politique on ne peut plus vibrante. Nous parlons pendant plus d'une heure de la situation des francophones minoritaires et, évidemment, des politiques dévastatrices du gouvernement Ford. Quelle rencontre inspirante!

. . .


Tonifié par cette expérience, j'ai poursuivi ma route avec confiance et enthousiasme. La force étant, j'ai pu débarrasser mon âme de quelques-uns de ses encombrements.

Je roule, je roule et devant moi ma vie se déroule
Fiori chante à tue-tête
Mes souvenirs frappent à la fenêtre
Je pleure, je ris
Mon âme sourit
 Tiens! se dit-elle, je suis en vie!


Voyager avec sa maison impose une certaine lenteur. L'escargot et la tortue le savent bien. Quelques jours m'ont cependant suffi pour que j'y prenne goût. Le temps de constater que la lenteur est la mère de la présence au monde, de l'émerveillement, de tous ces états poétiques tués par l'agitation, par la vitesse.

À côté, un autre monde s'active. Les réseaux sociaux se déchainent: mes photos circulent, mes propos se répandent. Textos et courriels convergent vers mon appareil présumé intelligent. Étrange dépossession à laquelle je ne suis pas habitué. Voilà maintenant que des journalistes m'interpellent. Ils s'intéressent à mon aventure. Pourquoi? Allez donc savoir! J'ose une entrevue téléphonique avec une journaliste de ICI Ontario, basée à Toronto. Le doigt dans l'engrenage! Pas moins d'une douzaine de demandes d'entrevues ont suivi: radio, télé, Web, journaux locaux de toutes les provinces vers lesquelles je me dirigeais. Je n'y comprends rien! Poser la question demeure sans doute la meilleure façon d'obtenir une réponse: mais pourquoi donc cette aventure si personnelle vous intéresse-t-elle? « Quand un Québécois s'intéresse à nous sans nous juger, on a envie de le connaitre » me répondait-on le plus souvent.

. . .

Entre le Québec et la Colombie-Britannique, quatorze milles kilomètres roulés à bord de Dolorès, en compagnie de Lucien. Des résistants, j'en ai vu, j'en ai entendu. Je sais maintenant que ces francophones comprennent bien leur situation. Ils connaissent les données statistiques et les théories plutôt pessimistes des sociolinguistes, et ils admettent, pour la plupart, que la menace d'assimilation est bien réelle. Aussi se souviennent-ils des coups déloyaux qui leur ont été assénés et de la résilience dont ils ont dû faire preuve pour reconquérir leur dignité. Ils se sont battus et s'attendent à devoir se battre encore, et peut-être toujours, pour la survivance de leur langue et de leur culture. Nombreux sont ceux qui croient résolument en leur pouvoir d'insoumission, nombreux aussi sont ceux qui doutent, qui craignent qu'un jour une fatigue insurmontable ne s'empare d'eux et n'affaiblisse leur volonté au point de la rendre inerte. Pour l'heure, un seul mot d'ordre: agir sur tous les fronts, occuper tous les espaces. Avant tout, aimer sa langue, oser la parler, faire assaut d'éloquence. Et s'il le faut, savoir manier les armes, toutes les armes : politiques, juridiques, médiatiques, communautaires. La pudeur n'est plus de mise. Question de vie ou de mort!

C'est Réal, un citoyen de Terrace Bay, au Nord-Ouest de l'Ontario, qui a été le premier à me faire prendre conscience des misères de la langue française en pays majoritairement anglophone. Autour d'une table du Drifters Restaurant, là où il m'a invité à le joindre, Réal se raconte. Je l'écoute, je cherche à comprendre l'intention de son message. Amour de sa langue, désir presque viscérale de la parler, voilà pourquoi il a voulu me rencontrer. Un amour qui prend racine dans ses souvenirs d'enfance. Il se souvient d'une langue enveloppante, celle qu'il parlait à la maison, chez lui, dans le Nord-ontarien. Il se souvient aussi qu'il la parlait avec ses oncles et ses tantes, ses cousins et ses cousines, à qui il rendait visite, au Lac St-Jean, ce berceau francophone aux accents typiques. Le français des doux moments, le français « langue maternante » pourrions-nous dire. « De nos jours, me dit-il manifestement inquiet, pour nous, francophones minoritaires, parler en français, c'est devenu une décision qui revient à chacun, et une décision de chaque jour ». Sa crainte de perdre le précieux bien se laissait facilement deviner.

« [...] dans les sociétés modernes pluralistes, 
les appartenances primordiales tendent à disparaitre. 
Au sein des communautés francophones minoritaires, 
de plus en plus urbaines et bilingues 
où les individus sont inscrits dans des réseaux multiples, 
le fait d'appartenir ou non à la francophonie devient un choix ».

Joseph-Yvon Thériault, sociologue, professeur et chercheur à l'UQÀM *


Réal a probablement soulevé le principal enjeu auquel sont confrontées les minorités francophones de son pays. Que pouvons-nous espérer de nos combats, se demandait-il en filigrane, sachant très bien qu'en contexte minoritaire, la langue qu'il aime ne se voue le plus souvent qu'aux choses utiles et qu'à son rôle de traductrice. La survivance est-elle le point d'arrivée que nous souhaitons pour notre langue? Et cette langue peut-elle même survivre sans son âme, c'est-à-dire sans cette vie que lui insufflent jour après jour la culture qui l'habite, l'histoire qui la porte? Rien n'est moins sûr...

À la fin de ce voyage, une chose demeure évidente cependant: je pourrai dire qu'au cœur des plus beaux paysages que l'on puisse voir en ce pays, j'ai rencontré des gens accueillants qui m'ont beaucoup appris au sujet de la francophonie canadienne. Et je m'y suis aussi rencontré... 

« J'ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant,
il y a longtemps que je ne m'étais pas revu,
me voici en moi comme un homme dans une maison, 
qui s'est faite en son absence,
je te salue, silence
je ne suis pas revenu pour revenir,
je suis arrivé à ce qui commence »

L'homme rapaillé, Gaston Miron, poète




* Joseph-Yvon Thériault, Sociologie et figures identitaires de l'Acadie et des minorités francophones du Canada. p 49. http://centre-mcd.uqam.ca/upload/files/Publications/JYT/1996-Figures-identitaires-Acadie-francophonies.pdf   


Plus de 50 articles à lire sur ce blogue - avec photos, reportages, etc. Explorez-le!
_________

 En route!


Aménager Dolorès (pour plus de détails sur l'aménagement,
 explorez l'onglet « Bienvenue à bord »)


Apprivoiser Lucien, mon compagnon de voyage.


Dans les camping, dans les cafés,
alimenter mon blogue jour après jour.



Vivre dehors matin et soir...



... soir et matin !

Quelques moments mémorables:

Ontario - Ma rencontre avec Amanda Simard
(article du 11 juin 2019)



Ontario - Avec Sylvia Bernard, directrice de La clé, devant une bâtisse chargée d'histoire.
Il y a 40 ans, un combat épique y était mené pour obtenir une école francophone.
(articles du 18 et du 21 juin 2019)




Ontario - Réal, c'est lui! (Deschatelet est son nom).
Une rencontre touchante et marquante.
(article du 26 juin 2019)



Manitoba - Jacinthe Blais et sa famille me reçoivent chez eux.
Jacinthe édite le magazine numérique Le Nénuphar
(article du 7 août 2019)


Saskatchewan - Martin Prince me reçoit à sa ferme.
Le voici dans son champ de lin
(article du11 juillet 2019)


Saskatchewan - Festival fransakois 
Denis Desgagné, un homme très engagé dans son milieu,
 m'a fait connaitre des dizaines de personnes qui ont le français à cœur.
(article du 10 juillet 2019)


Alberta - Grâce à Jean-Claude Giguère, j'ai pu visiter les principaux attraits d'Edmonton. 
Un homme engagé et connaissant en matière de francophonie.
Nous avons partagé un repas au Café bicyclette, à la Cité francophone.
Il m'a aussi invité à une magnifique soirée spectacle.
(article du 13 juillet 2019)


Alberta - Sur la route des glaciers, des paysages à couper le souffle  !
(Au milieu des Rocheuses, entre Jasper et Banff)



Alberta - Parc national Jasper



Colombie-Britannique - Suzanne et Bryn, professionnels de la musique traditionnelle.
Je les ai rencontrés à leur domicile situé à 1000 mètres d'altitude.
Ils font connaitre la culture traditionnelle francophone aux enfants, dans les écoles.
(article du 21 juillet 2019)







Colombie-Britannique - La splendide maison de Suzanne et Bryn
au sommet de la montagne.



Île de Vancouver- Marcher sur le  sentier « Wild Pacific Trail »
et voir l'océan Pacifique.



Île de Vancouver- Marcher dans le « Parc Cathedral Grove » 
où se trouvent des arbres géants pouvant atteindre de 500 à 800 ans.



Et revenir à la maison: épuisé! 😵 mais combien heureux! 😃

Aucun commentaire:

Publier un commentaire